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Résonances stationnaires

l'influence des parois sur le calcul des fréquences modales

Il suffit de parcourir les forums pour s’apercevoir que beaucoup d’entre vous se sont essayés à calculer les fréquences des modes stationnaires de leur salon. D’autres ont préféré les mesurer à l’aide d’un analyseur par tiers d’octave. La comparaison des valeurs calculées avec celles mesurées laisse généralement perplexe car bien souvent elles ne correspondent pas, à tel point qu’on se demande s’il s’agit de la même pièce !
A défaut d’autre explication, les erreurs sont imputées aux imperfections géométriques de la pièce ou à la présence d’obstacles (poutre, cheminée).

En réalité, il est hautement improbable que vous observiez les modes aux fréquences calculées, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, pour que les mesures soient cohérentes, la pièce doit être un parallélépipède parfait, vide de tout meuble.
Il faut aussi que tous les modes soient excités. Pour cela la source doit être placée dans un angle de la pièce, à la rencontre de trois parois (le plancher et deux murs par exemple). Si cette condition n’est pas respectée, certains modes seront perçus moins fort que d’autres.

Pour entendre tous les modes, il faut que l’auditeur ou le micro de mesure soit dans l’angle opposé à la source, à la rencontre du plafond avec deux murs. A défaut, certains modes ne seront pas perçus.

Les valeurs observées sont significatives seulement si les murs sont lourds et très rigides, ce qui n’est pratiquement jamais le cas dans nos habitations.

Enfin, il faut tenir compte du poids mathématique relatif de chaque type de mode (axial, tangentiel, oblique), les modes axiaux étant les plus énergétiques.

Pour prédire l’importance des résonances modales dans un local contenant plusieurs sources et plusieurs auditeurs, il faut tenir compte de la position de chaque source (un calcul par position), et de la position de tous les auditeurs, chacun recevant une réponse différente.
Mais l’aventure ne s’arrête pas là.

Limites physiques et acoustique d'un local

Pour illustrer les causes des incohérences observées, rien ne vaut un exemple concret.

Nous allons considérer les deux premiers modes longitudinaux dans une pièce rectangulaire de 6m de longueur. Les deux murs opposés sont de nature identique, celui de droite contient une porte d’accès en bois massif. La source est matérialisée par un subwoofer linéaire placé dans un angle de la pièce.

On mesure la pression acoustique tous les 50cm le long d’une arête longitudinale, c'est-à-dire à la rencontre d’un mur latéral avec le plancher.

On répète l’expérience pour la première et pour la seconde fréquence de résonance (28,3 et 56,6Hz respectivement).

Le tracé des courbes de pression se présente comme ceci :

L'échelle horizontale des abscisses représente la longueur physique de la pièce. L'échelle verticale indique la pression acoustique mesurée. La courbe rouge montre les variations de pression à la première fréquence de résonance (28,3Hz) et la courbe bleue à la seconde (56,5Hz).

  L’écart entre le minima et le maxima de la première fréquence (courbe rouge) n’est que 13 décibels. Dans un schéma théorique, c'est à dire dans un calcul modal classique où les murs sont supposés être très épais, on aurait beaucoup plus. Cela signifie que les murs absorbent une partie de l’énergie à cette fréquence, (au profit du voisin car l'autre partie est transmise). L’énergie ainsi absorbée atténue les crêtes de pression (interférence constructive) et gomme les creux de pression (interférence destructive). L’ondulation reste modérée.

  La seconde fréquence présente des écarts d’amplitudes plus importants, allant jusqu’à 19 décibels (courbe bleue). La courbe affiche aussi des creux plus marqués. Ceci est la conséquence d’une réflexion plus grande, les murs étant plus rigides à cette fréquence.

  Par ailleurs, on observe que le minima de la première courbe n’est pas au milieu de la pièce (point A). Il est décentré de 60cm vers la droite alors qu’il devrait se trouver à mi-distance entre les deux murs. Pour retrouver une symétrie complète, il faudrait prolonger la courbe vers la droite, de l'autre coté du mur. Ce constat laisse penser que la longueur acoustique de la pièce est plus grande que la longueur physique.
Curieusement, l’allongement est situé du coté où se trouve la porte.

L’explication est la suivante : l’impédance du matériau qui constitue la porte est plus faible que celle du mur. La porte se comporte comme une membrane, elle absorbe une partie de l’énergie incidente et réfléchit le reste. L’énergie réfléchie subit un déphasage qui produit le même effet que de déplacer la surface de réflexion.
La longueur acoustique étant plus grande que la longueur physique, la fréquence de résonance réelle est plus basse que la valeur calculée.

  Les minima de la courbe bleue sont également décalés vers la droite mais dans une moindre proportion car les murs et la porte vibrent moins à cette fréquence.

On peut situer la limite acoustique par un mur virtuel matérialisé par un trait en pointillés à 1mètre du mur réel.

Deuxième exemple

Cette fois-ci la porte est posée contre un mur latéral et n’entre plus dans le calcul du mode longitudinal. Par contre, les murs sont de construction différente. Le mur de gauche est un mur porteur en parpaing de 20cm tandis que celui de droite est une cloison en carreaux de plâtre.

L’asymétrie modale est encore plus importante pour les deux fréquences. L’explication est la même que précedemment. La masse de la cloison est insuffisante pour maintenir une impédance élevée et faire barrage à l’énergie développée aux basses fréquences.

On remarque que la pression près du mur à gauche n’a presque pas bougé alors qu’elle a sensiblement diminué près de la cloison à droite du dessin. En même temps, les creux de pression ont légèrement évolué vers la droite. Ceci s’explique par la faible impédance de la cloison sur une plus grande surface que la porte dans l’exemple précédent. La limite acoustique est repoussée à 1,50m de la cloison.

Troisième exemple

Toutes les parois sont des cloisons en carreaux de plâtre ou en brique plâtrière, parfaitement identiques. La pièce est parallélépipède parfait, la porte n’est plus concernée, et pourtant, on observe toujours un écart entre les fréquences modales calculées et mesurées. Pourquoi ?

Parce que les cloisons légères laissent filtrer une partie de l’énergie dans les pièces voisines. Ces pièces résonnent à leur tour et renvoient une partie de l’énergie reçue vers la cloison émettrice. Mais les pièces adjacentes n’ont pas toutes le même volume ni le même nombre de portes ou de fenêtres et ne résonnent pas de façon identique.

Les limites acoustiques de la pièce ont migré vers la droite et vers la gauche de manière inégale car les pièces adjacentes ont des caractéristiques différentes. Les creux de pression se sont rapprochés des murs. La longueur acoustique de la pièce avoisine les 8,50m.

Comportemant aux différentes fréquences

Au-delà de ce que nous venons de voir, les dimensions acoustiques d’une pièce varient continuellement selon la fréquence. Les parois, qu’il s’agisse des murs, du plafond ou de plancher, vibrent davantage à certaines fréquences qu’à d’autres. Plus une paroi vibre, plus est perméable au passage des sons et plus la pièce s’agrandit.

Conséquences sur l'isolement

Si par hasard, la fréquence de résonance naturelle d’une paroi coïncide avec la résonance de la pièce, les propriétés isolantes deviennent très médiocres, voir quasi-inexistantes. On observe ce phénomène avec les cloisons de doublage acoustique en panneaux de plâtre mince.

Par exemple, une cloison en BA13 disposant d’un plénum de 10cm rempli de laine de verre, résonne à 63Hz. Adossée à un mur en parpaing creux de 20cm, le doublage sensé améliorer l’isolement, le dégrade de 7 décibels, passant de 39db (courbe verte) à 32dB seulement (courbe rouge).

Si la pièce possède une dimension physique de 2,58m (plafond) ou 5,16m, la dimension acoustique sera 2,68m (f1=63Hz) ou 5,36m (f2= 63Hz). En supposant que la résonance amplifie le niveau de pression de 6dB à cette fréquence, l’isolation ne sera plus que 26 décibels (courbe bleue).

La courbe verte représente l'affaiblissement du mur en parpaing. La courbe rouge représente l'affaiblissement de l'ensemble mur + doublage. Les performances se dégradent en dessous de 85Hz. La courbe bleue tient compte de la résonance de la pièce.
En revanche, plus une cloison est amortie, moins les modes stationnaires sont prononcés. Les maisons américaines, généralement construites avec une ossature en bois souffrent moins des modes stationnaires que nos constructions en matériaux durs.

Calcul des proportions

On comprend, à la lumière de ce qui précède, que tout calcul approfondi des proportions idéales est sans fondement. On se demande d’ailleurs pourquoi ce concept persiste depuis si longtemps. Le calcul des proportions d'une pièce se justifie uniquement pour éviter les rapports caricaturaux (mur carré, cube, géométrie tubulaire) et les plafonds trop bas. Au delà, il vaut mieux ne pas s'en préoccuper.

 

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