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Peut-on isoler un seul mur ?

Imaginons que vous habitiez un immeuble dans un quartier calme. Le bruit naturel ambiant mesuré dans votre appartement est 23dBA.

A la suite du changement de locataire dans l’appartement situé juste à coté, le calme n’est soudainement plus qu’un souvenir. En effet, le nouveau voisin qui aime la musique et reçoit souvent ses amis est véritablement très bruyant, au point de rendre la vie impossible aux autres occupants de l’immeuble.

En collant votre oreille au mur, votre verdict est sans appel:
Nul doute, le bruit vient d'à coté en passant par le mur mitoyen !

Dans votre appartement, on mesure aujourd’hui 36dBA, soit une nuisance (on dit une émergence) de: 36dB - 23dB = 13 décibels.

Vous faites venir un acousticien (et éventuellement un huissier) pour constater la nuisance. L'analyse du comportement vibratoire des parois montre que le mur mitoyen est effectivement responsable de la majeure partie de la transmission, puisqu'il transmet 35dB à lui seul.

Vous pensez: "c'est bien ce que j'avais observé: tout le bruit vient de là !"

Pas tout à fait. Si on compare le niveau de bruit global avec la transmission par le mur mitoyen, il reste un écart de 36-35= 1dB.

Ok, mais alors d'où vient ce décibel restant ?

Le décibel supplémentaire est propagé par le rayonnement des autres murs.
Vous me direz, 1dB c'est pas grand-chose, renforçons l'isolation du mur mitoyen !
En fait, le dernier décibel est plus important que vous pensez et mérite qu'on le regarde de plus près.

Quand on touche aux niveaux sonores, les décibels ne s'additionnent pas comme les euros. L’échelle des décibels traduit une progression logarithmique de la pression acoustique.
Ainsi, en acoustique 36-35 ne fait pas 1 ! (contrairement à ce qui est écrit ci dessus).
On doit calculer comme ceci :
36-35 = 10 x log (1036/10 - 1035/10) = 29dB !

Non... il n’y a pas d’erreur, vous avez bien lu. En ne tenant plus compte de la transmission par le mur mitoyen, il reste quand même 29dB de bruit dans la pièce.

La preuve: mur mitoyen + autres murs = 10 x log (1035/10 + 1029/10) = 36dB !

Qu'importe, vous persistez dans votre idée. Supposons que vous trouviez une super entreprise qui dispose de matériaux magiques et qui sache isoler le mur à 100% (cas théorique) de manière à supprimer totalement son rayonnement.

Il restera le rayonement des autres parois. N’oublions pas que le son ne se propage pas à travers les murs mais le long des murs, pour diverses raisons, l'une d'elles étant que les matériaux de construction sont d'excellents conducteurs, bien meilleurs que l’air (flèches rouges sur l'image).

On ne peut donc pas sous estimer le rayonnement des autres parois.
Dans le cas présent, on vient de voir que le rayonnement total des 5 parois restantes (3 murs + plancher + plafond) transmet à lui seul 29dB.

En supposant que chacune des parois transmette la même quantité d'énergie, nous aurons 1/5 de l'énergie par paroi. Mais là encore 29/5 ne fait pas 5,8 !

En réalité, chaque paroi rayonne 22 décibels.
On peut le vérifier : 10 x log (5 x 1022/10) = 29dB

D'autre part, nous avons pris comme hypothèse de calcul un isolement parfait du mur mitoyen, ce qui n’est jamais le cas.  

En pratique, un doublage isolant de type Calibel 90+10 ou Doublissimo permet de gagner 8 à 14dB dans les fréquences vocales et beaucoup moins dans les graves. 

En prenant 13dB comme affaiblissement moyen, le mur mitoyé isolé rayonnera 35-13=22dB.

(Là on peut soustraire directement car il s'agit d'un affaiblissement déjà intégré et non pas du rayonnement d'une autre source), mais ce traitement n'affectera en rien le rayonnement des autres parois.

L'émergence totale dans la pièce après doublage du mur ne sera plus 36dB mais :
22dB (mur doublé) + 29dB (autres parois) = 10 x log (1022/10 + 1029/10) = 29,8 dB

Donc, en isolant seulement le mur mitoyen, vous ne gagnez que 5,2 dB.

Alors, vous décidez d’isoler un second mur.

C’est bien, mais malheureusement vos espoirs risquent d’être encore déçus.
En isolant ce mur (avec le même matériau), vous ne gagnerez pas 29dB/5 mais seulement 0,8dB :
35-13dB (mitoyen) + 22-10dB (mur isolé) + 4x 22dB (les autres parois), soit :

10 x log (1035-13/10 + 1022-13/10 + 4 x 1022/10) = 29 dB
En isolant le séparatif + 2 murs le bruit résiduel sera :
10 x log (1035-13/10 + 2 x 1022-13/10 + 3 x 1022/10) = 28.1 dB
Avec les 4 murs doublés, il restera :
10 x log (1035-13/10 + 3 x1022-13/10 + 2 x 1022/10) = 27 dB
En isolant aussi le plafond, on aura :
10 x log (1035-13/10 + 4 x1022-12/10 + 1022/10) = 25,4 dB
Et enfin, avec le plancher:
10 x log (1035-13/10 + 5 x1022-13/10) = 23 dB

Ce résultat est logique: Au début, nous avions une émergence de 36dB. Nous avons ammélioré l'affaiblissement de chaque paroi de 13dB. L'émergence résultante devient 36-13= 23dB

Mais souvenons nous que le niveau de bruit initial (avant l'arrivée du nouveau locataire) était aussi de 23dB. Nous avons donc supprimé la nuisance dans son intégralité, mais il a fallu traiter tous les murs pour y parvenir.

Pour l'exemple, supposons que nous ayons traité 5 parois sur les 6, avec une méthode ou un matériau miracle qui isole à 100%.
L'émergence serait celle du mur manquant:
10 x log (1022/10) = 22 dB
mais hélas, ce matériau n'existe pas.

Dans un monde réel, la boîte dans la boîte est la seule méthode qui fonctionne.


Le dernier piège
Ce résultat ne signifie pas pour autant que vous n'entendrez plus votre voisin. En isolant votre appartement, vous avez également atténué les autres bruits de l'immeuble ou de la rue (circulation, ascenseur, chaufferie).
Par conséquent, le bruit résiduel en période calme (c'est à dire quand votre voisin est absent), est inférieur à ce qu'il était. Vous allez rapidement vous y habituer, ce calme deviendra votre référence et vous allez devenir plus exigeant.

En supposant que le niveau calme soit maintenant à 18dBA, le bruit du voisin atténué par l'isolation émergera de 23-18= 5dB, et sera encore audible.

C'est pourquoi, il faut non seulement isoler toutes les parois, mais aussi prévoir un isolement supérieur à l'émergence initiale.


Remarques

L'exemple ci-dessus ne tient pas compte du rayonnement par les ouvertures (portes fenêtres) ni de la propagation à travers les canalisations, les appareils de chauffage, les conduits de ventilation ou de cheminée, visibles ou enfouis.
Il suppose que les murs sont de même composition, en maçonnerie, solidaires entre eux, avec le sol et le plafond, ce qui correspond au cas général.
Les constructions particulières désolidarisées ou équipées de ruptures de ponts phoniques donneraient des valeurs sensiblement différentes.

Demandez conseil à un spécialiste. Les recettes miracles et les revêtements isolants minces n'existent pas. Seule, une étude d'isolement, menée par un bureau compétent, saura déterminer l'isolation dont vous avez besoin. 

 

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